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Développement humain

La sagesse: la dernière étape de la vie

Marie Bérubé, M. Psychologie

Jeter derrière soi un regard plein d’espoir. Fernand Seguin

C’est un message très émouvant de Fernand Seguin (note 1), pionnier de la vulgarisation scientifique au Québec, qui m’a inspiré ce sous-titre. Une attitude qui décrit bien cette période de la vie qui est celle de l’intégration et de l’intégrité, dans la mesure, bien sûr, où les étapes précédentes auront été assumées dans leurs choix difficiles ou leurs moments heureux.

Le vieillissement est une période embarrassante à décrire. En effet, les messages de la société sont contradictoires. On parle d’âge d’or, mais le grand âge ici ne reçoit ni le respect, ni la vénération qu’ont pour lui les sociétés orientales. Au contraire, il semble que ce soit plutôt les préjugés qui l’emportent. Beaucoup d’attitudes sont négatives et empreintes de stéréotypes. Les personnes vieillissantes sont plus souvent qu’à leur tour coupées du reste du monde, vivant privées des droits réservés aux personnes encore jeunes ou productives. On parle de la diminution des capacités physiques et sensorielles, de la baisse du rendement, des problèmes reliés à leur garde, à la perte d’autonomie, de mémoire, et bien sûr du déclin des désirs sexuels.

Vieillir

Il est vrai qu’une personne qui vieillit subit un ralentissement, une certaine usure physique. Mais ce ralentissement a commencé depuis longtemps. On est toujours une personne âgée de 10, 15, 30 ou 70 ans. Cette notion n’a aucune signification. Puis, c’est oublier que l’involution physique commence aussi tôt qu’à 5 ans. Dès la vingtaine, nos organes s’usent et se fragilisent. À 30 ans, un grand sportif songe à sa retraite. Et que penser des gens qui négligent leur alimentation, leur sommeil, leurs émotions et l’exercice physique?

Le vieillissement n’arrive pas soudainement à 65 ans. L’âge est variable, parce que l’état de santé est variable. Et, il s’agit d’un ralentissement, pas d’une perte. Beaucoup savent rester sains très longtemps. En fait, il est très possible d’être en excellente santé toute sa vie. La sénilité est parfaitement évitable, l’activité peut rester possible ainsi que les capacités intellectuelles et le désir d’apprendre.

Embellir son intérieur

Depuis plusieurs années, de nouvelles sciences humaines ont vu le jour, dont la gérontologie. L’intérêt est grandissant pour cette étape de la vie qui, paradoxalement, marque le sommet de la croissance. Certes, si on s’arrête à l’aspect extérieur, tout cela fait bien peur. Pourtant, nos premières rides se pointent à 25 ans. Les cheveux blancs sont souvent présents bien avant la maturité. Une personne n’est-elle que son enveloppe? À ce point de vue, la beauté est souvent un handicap. Les personnes esthétiquement parfaites (et là encore les critères sont culturels) apprennent souvent à miser uniquement sur leur aspect, à utiliser leur extérieur pour obtenir ce qu’elles désirent.

Mais une apparence, cela s’effrite, malgré les crèmes, les chirurgies et l’entraînement acharné, et rapidement aussi… Si on n’apprend pas à connaître, habiter et exploiter son intérieur, on risque de se trouver fort démuni, impuissant et frustré lorsque, inévitablement, le temps patinera les apparences. À moins que les critères de beauté ne changent beaucoup et que nous devenions tous beaucoup plus sages, et tous très vieux.

C’est surtout cet aspect du vieillissement qui est fascinant. Parfois, on entend dire : Bien sûr, je retournerais en arrière, à vingt ans par exemple, mais pas sans mon expérience. Car il y a des gratifications à vieillir. Mais quelle est donc cette sagesse, dont souvent on parle, mais dont on ne connaît pas le sens?

Une vision de la sagesse

L’homme et la femme qui ont assumé leur cheminement, qui ont saisi le sens de leur existence, qui ont donné généreusement d’eux-mêmes pendant leurs années de maturité ont appris, presque malgré eux, de grandes choses. Ils ont acquis, accepté leurs valeurs personnelles et agi dans le sens de ces dernières. Ils se sont acceptés eux-mêmes comme ils ont intégré les bons et les mauvais moments de leur existence, les considérant tous comme des conséquences de leurs choix, sans culpabilité ni amertume.

En fait, le développement se complète et la personne retrouve en elle toutes les qualités pour lesquelles elle a lutté lors des étapes précédentes. La sagesse se traduirait donc d’abord par le fait d’accepter ce qu’a été sa vie, cette dernière étant le fruit de sa responsabilité, et aussi ce qui devait être. Avec le temps, les regrets s’estompent, le ressentiment s’atténue. Très souvent, on ne souhaite plus que ses parents eussent été différents, ses enfants autres. L’homme et la femme ressentent alors une sorte de fraternité universelle. Nous sommes grands-parents plus tolérants, patients, compréhensifs que nous avons été des parents. On a le temps, et surtout la bonté que le temps a polie, raffinée et donnée.

Les vieux ont le sens de l’histoire, des traditions. Pour eux, les coutumes deviennent rassurantes, et ils envisagent l’avenir sans le redouter. La maturité se prolonge dans le détachement, et la mort n’est pas un terme mais une étape.

C’est ici que l’image de Fernand Séguin me revient, parlant de fleurs, de travail accompli, de satisfaction dans la sérénité… Cette image pleine de douceur, de simplicité, de vulnérabilité où l’essentiel est transparent, évident.

Bien vieillir ou mal vieillir?

Mais cette belle sagesse, malheureusement, n’est pas l’aboutissement de toute vie. Bien que je demeure convaincue qu’elle soit possible aussi dans l’adversité, elle n’est réservée qu’à ceux qui l’auront construite dans l’effort, le renoncement, la sobriété et la générosité. À ceux aussi qui auront préservé son habitacle, en favorisant leur santé et leur corps. En fait, un certain nombre d’entre nous connaîtront malheureusement le désespoir et le dégoût de soi.

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Lors que la crise d’identité n’a jamais été résolue, la paix n’est pas acquise. Même à un âge avancé, on peut sans cesse éprouver le désir de recommencer sa vie, de choisir une autre voie, tout en voyant le sable s’écouler inexorablement dans le sablier. Le désir de changement peut s’actualiser dans le suicide actif ou passif, c’est-à-dire l’asphyxie dans les drogues médicamenteuses, l’alcool, la dépression, la maladie ou la sénilité…Mais cette perspective n’est pas inévitable.

En fait, vieillir peut être une expérience heureuse et gratifiante, du moment qu’on a compris que ce qui use la vie, ce n’est pas l’activité, les projets et le plaisir. Au contraire demeurer vivant, c’est continuer de prendre, sans demander la permission, et sans attendre que les plus jeunes comprennent. La vie, je l’espère, nous sensibilisera au fait que tôt ou tard, nous suivrons le même chemin.

Note 1: Fernand Seguin (1922-1988) est un pionnier de la vulgarisation scientifique au Québec. Il a marqué des générations d’auditeurs et de téléspectateurs en transmettant sa passion de connaître. Savant-philosophe, Seguin éveille les consciences aux dangers de la science. Chercheur et humaniste, il est le lauréat du prix Kalinga de l’Unesco, considéré comme le prix Nobel de la vulgarisation scientifique. Voir son entrevue Le testament d’un sage

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