Crise de colère de l’enfant, agressivité et même violence à l’occasion: voilà des comportements qui confrontent inévitablement les parents et les éducateurs,les interpellent dans leurs valeurs et les obligent à réagir malgré leur malaise et leurs réticences. Mais qui veut supprimer la crise de colère et les conduites indésirables doit d’abord interpréter correctement ce qu’il voit et en comprendre le sens et les causes. C’est ce à quoi nous nous attardons dans cet article.
Tous les parents découvrent, et très tôt, qu’un enfant s’exprime d’abord par des pleurs, des cris, des crises et qu’il semble parfois inconsolable. Ils s’aperçoivent également de la fragilité de leur patience qu’ils avaient surestimée, comme aussi leur résistance à la fatigue. En effet, à la naissance, le bébé connaît pour la première fois la frustration. Crier est son seul moyen pour exprimer ses besoins, son inconfort, sa douleur et sa fatigue. Et sa petitesse n’est pas une garantie de la faiblesse de ses cris. Il semblerait que le nombre de décibels émis par un nouveau-né qui hurle se situe entre ceux émis par un moteur diésel et ceux d’une tondeuse à gazoline… De quoi s’assurer assez rapidement une réponse, même maladroite, de son parent.
Et voilà! Dans son cerveau à peine fonctionnel s’établissent déjà des liens: il a trouvé, bien inconsciemment, un moyen infaillible de faire réagir l’entourage et d’obtenir une réponse. Les parents découvriront bien vite aussi que les colères du tout petit ne sont rien en regard de la crise de colère de l’enfant plus âgé. Jusqu’à 3 ans environ, elles risquent de se multiplier.
La colère est une émotion primaire, comme le sont la joie, le chagrin, la peur, le dégoût et la surprise. Elle est une réaction affective spontanée et naturelle qui se traduit par des manifestations d’ordre neuro-végétatif comme par exemple la rougeur au visage, des battements cardiaques accélérés et même parfois, chez le très jeune enfant, par une perte de conscience appelée le spasme du sanglot. Se mettre en colère nous évite de refouler nos sentiments ou de la retourner contre soi, ce qui est si typique de bien des adultes.
L’agressivité est un comportement ou une attitude causée par la colère. Elle se caractérise entre autres choses par l’acte d’attaquer et se distingue de la violence et de la brutalité par son intention qui n’est pas de blesser ou de faire du mal à autrui. Chez l’enfant, le répertoire de réponses est limité. Il n’a pas encore la parole, ou bien peu, et les zones de son cerveau en lien avec le contrôle ne seront pas tout à fait développées avant l’adolescence. En fait, l’agressivité est une expression inadéquate de la colère, parce qu’elle nuit au bon climat à la maison, à la garderie ou à l’école. C’est le comportement ou l’attitude qui sont indésirables. Si l’intention est bonne, les gestes demeurent choquants. Si nous comprenons mieux ce dont il s’agit, nous serons davantage capables de trouver des solutions et des alternatives avec l’enfant, selon son âge. Il aura alors, et pour toujours, d’autres moyens pour s’exprimer que la crise de colère.
À noter que toute agressivité n’est pas mauvaise en soi. Ne dit-on pas de quelqu’un qui va de l’avant, qui ne fuit pas les difficultés ou qui ne refuse pas le combat qu’il est agressif?
Le comportement agressif se manifeste généralement suite à une frustration externe. Par exemple, l’enfant est empêché de poser un geste ou d’atteindre un but. Il peut s’agir aussi d’une frustration interne: il désire faire quelque chose, mais il n’a pas les habiletés et réalise son impuissance. Il peut également vivre une frustration en raison de son état de santé, d’une douleur…
Nous verrons ailleurs que nous n’avons pas à retirer toute frustration de l’environnement de notre enfant, ni à tout interdire. L’autonomie des enfants se gagne par un certain contrôle sur son univers, mais aussi par le contrôle sur soi.
Pour en revenir à l’agressivité , elle peut revêtir plusieurs formes. Souvent, elle est active, franche, directe. Par exemple, lancer un objet, frapper un autre enfant ou son parent, détruire, etc. Elle peut aussi être passive: cette forme moins bruyante est souvent pire et plus dommageable, et pour l’enfant, et pour la communication. Voici quelques exemples: manipuler les autres, s’entêter, bouder, oublier et la procrastination. Ou encore, les supposés accidents, diverses formes de sabotage, la résistance, l’obstruction…
L’agressivité peut aussi s’exprimer de façon différée dans le temps (une frustration vécue à la garderie exprimée à la maison) et déplacée sur un autre individu ou un autre objet que celui concerné. Par exemple, avoir de mauvaises notes à l’école, commettre des actes de vandalisme, être cruel envers les animaux, frapper un plus jeune, etc.
Il arrive aussi que l’agressivité soit refoulée, réprimée. Dans ce cas, elle trouve un autre canal pour s’exprimer. Elle peut par exemple être une composante de problèmes comme l’énurésie nocturne (survenue pendant le sommeil de mictions involontaires et inconscientes chez l’enfant de plus de cinq ans ) ou l’encoprésie (forme d’incontinence fécale chez l’enfant de plus de quatre ans). Chez l’adulte, elle est sous-jacente à beaucoup de maladies psychosomatiques.
Comprendre que l’agressivité n’est pas le fait de la méchanceté, l’intention, comme nous l’avons mentionné, n’étant pas mauvaise, ne signifie nullement que l’on doive tout accepter. Mais pour pouvoir cibler notre intervention, il importe tout d’abord de connaître les causes.
Certaines causes sont inhérentes à l’âge neurologique de l’enfant ou à son hérédité. Il y a certaines évidences qu’il faut accepter et nous ne pourrons rien y changer. Tout au plus sera-t-il possible de canaliser cette propension à la colère ou à l’agressivité et d’offrir un milieu favorable, plutôt que d’essayer de changer notre enfant. D’autres causes, par contre, pourront être modifiées par une meilleure prévention et de meilleures interventions.
a) En tout premier lieu, parlons du développement du cerveau d’un nouveau-né dont le volume est de 25% de celui de l’adulte. Beaucoup de connections neuronales sont encore à faire et tout contrôle moteur est quasi absent. À deux ans, le cerveau atteint 80% de celui de l’adulte et il faudra attendre la dernière étape du développement cognitif, à l’adolescence, pour que le cortex frontal soit pleinement développé.
Il faut savoir que le cortex frontal est la zone du contrôle de soi, du contrôle des émotions, de la pensée, du jugement et de la résolution de problèmes complexes. Ce sont là les dernières étapes du développement d’un cerveau adulte. En vieillissant, l’être humain devient plus souple sur le plan cognitif.
Au tout début, comme nous le découvrons, l’enfant réagit un peu comme un petit animal. Il réfléchit peu, sa pensée est immédiate, il est immergé dans le moment présent, dans l’ici-et-maintenant, il ne connaît rien de nos conventions (le jour ou la nuit, l’heure des repas). Se fâcher est le seul moyen qu’il a de nous communiquer ses sensations qu’il est bien incapable lui-même de comprendre.
Chez l’adulte, l’expression de la colère par les cris et les crises est contestable, puisqu’en principe il connaît d’autres moyens de s’exprimer, par la parole entre autres, résultante de la réflexion, du jugement. Chez l’enfant, le contrôle est si peu présent qu’il peut aller jusqu’à perdre conscience de colère. D’ailleurs, voyant l’effet de panique que cela déclenche chez son parent, il peut avoir recours à ce moyen jusqu’à ce que, finalement, sa maturation neuronale rende la chose impossible, soit vers l’âge de 3-4 ans. Ce qui devrait nous amener à prendre conscience qu’une mauvaise réponse parentale aux comportements agressifs peut tout à fait créer un enfant impossible et colérique.
b) Certains traits de caractère sont par ailleurs innés en grande partie. L’hérédité ne détermine pas que la couleur des yeux ou des cheveux. Elle a aussi son mot à dire sur le tempérament, l’émotivité. Sans sous-estimer le milieu qui va agir comme modulateur, dépendamment des parents, des éducateurs et de l’entourage, il va sans dire qu’une composante héréditaire est une condition non négligeable au départ.
Parmi ces facteurs, il y a le niveau d’activité de l’enfant, la régularité, l’accommodation aux nouvelles situations, l’extraversion ou l’introversion, le somnambulisme, la capacité d’accepter les changements, la timidité, la propension aux malaises du transport, la tendance à la dépression, l’anxiété, la capacité de leadership, la vulnérabilité au stress et la propension à l’agressivité. Ces traits seraient héréditaires dans une proportion de 30 à 60%.
c) Dès leur naissance, les enfants sont différents dans leurs comportements et leur façon d’être. Ces différences coloreront les relations qu’ils développeront avec leur entourage. Quarante pour cent des nourrissons sont dits faciles. Ils réagissent bien à la nouveauté et au changement. Ils ont rapidement et spontanément des horaires réguliers. Ils aiment les nouveaux aliments, sourient aux étrangers, tolèrent bien la frustration, se laissent distraire facilement, sont la plupart du temps de bonne humeur et d’adaptent à des routines nouvelles.
Dix pour cent des bébés sont qualifiables de difficiles. Ces enfants réagissent mal à la nouveauté et au changement. Leurs horaires sont irréguliers, ils acceptent mal de nouveaux aliments, se méfient des étrangers, s’adaptent lentement à la nouveauté. Les situations frustrantes déclenchent chez eux de la colère. Ils sont souvent maussades, pleurent et rient fort.
Quinze pour cent sont dits lents. Ils réagissent lentement à la nouveauté et au changement. Dans leur routine, ils peuvent alterner entre régularité et irrégularité. Face à la nouveauté, leur première réaction est bien souvent négative, puis d’intensité moyenne. Ils s’habituent, mais plus lentement. Les derniers trente cinq pour cent des enfants sont des mélanges des trois premières catégories.
d) Certaines étapes du développement sont aussi davantage associées à la rébellion. Qu’il suffise de penser à la phase du Non entre dix-huit mois à trois ans, parfois qualifiée de première adolescence, à la puberté alors que le cocktail hormonal se révèle explosif à l’occasion, et à l’adolescence, période d’affirmation s’il en est.
e) Soulignons aussi les différences associées au sexe de l’enfant. Dès le plus jeune âge, les garçons recherchent davantage l’attention de façon négative et ces différences de comportement persistent avec l’âge. Si l’agressivité se manifeste, elle sera également anti-sociale. Les garçons frappent plus que les filles qui démontrent plus une agressivité pro-sociale, c’est-à-dire verbale, et qui ressentent plus de culpabilité. Ces différences persistent avec l’âge, dans les cultures distinctes et ce malgré des méthodes éducatives différentes.
Bien que la recherche ne puisse hors de tout doute en donner la cause ultime, elle trouve cependant une forte corrélation avec le niveau d’activité physique plus élevé chez les garçons. Étant plus actifs que les filles, ils sont donc plus susceptibles d’exprimer physiquement leur agressivité. Bien sûr, on pointe aussi du doigt les hormones sexuelles (androgènes et testostérone) et tous les renforcements, sexistes ou non, jouant sur les apprentissages qui accentuent ces tendances de façon non négligeable.
Malgré tout ce que nous venons d’énumérer, il y a plein d’exemples de situations que nous pouvons modifier et influencer. Tout comme on peut supprimer ce qui provoque une réaction allergique pour voir celle-ci disparaître, il est possible de faire diminuer et d’agir sur une crise de colère en supprimant ou en atténuant ce qui la provoque. Voyons d’abord quelles sont les causes des colères et des attitudes agressives sur lesquelles un contrôle est envisageable.
a) Les frustrations. Elles sont l’expression d’un déplaisir. C’est ce qu’exprime le cri de la naissance, par exemple. Quotidiennement, les règles régissant la vie sociale peuvent frustrer l’enfant qui ne les connaît pas encore. Les douleurs physiques, les inconforts et les besoins sont aussi, au début de la vie, des causes de frustration. Ce sera le cas de maux divers comme les dents qui percent et les otites, ou une couche souillée, la faim, une diète contenant des stimulants (sucres, colorants alimentaires, chocolat, cola…).
b) Les exigences parentales trop grandes et irréalistes s’ajoutent aux réalités de la vie physique. Le niveau de stimulation, à la maison comme ailleurs, peut être trop élevé : trop de bruit, trop de jeux, trop d’activation de la part des adultes. L’autorité des parents est peut être trop forte, de même que le laisser-faire chez d’autres. La surprotection ou le rejet sont aussi des sources non négligeables d’anxiété chez les enfants et des déclencheurs potentiels d’attitudes agressives et de colère. Des événements hors du contrôle des enfants, comme la séparation, la famille recomposée, les déménagements font aussi souvent partie du tableau.
c) L’apprentissage est aussi une cause potentielle. Les enfants peuvent apprendre à faire des colères ou à être agressifs si leurs attitudes ou comportements sont récompensés par les adultes. À chaque fois qu’un enfant obtient ce qu’il veut en faisant une crise de colère ou en argumentant sans fin, il est renforcé dans ces façons de faire et ces comportements peuvent éventuellement faire partie de son répertoire de réponses, même à l’âge adulte.
d) Les modèles. L’agressivité, tout comme la violence, s’apprend aussi par modélisation. Comment exiger d’un enfant qu’il se calme, alors que le parent a perdu tout contrôle sur la situation. La télévision, les jeux vidéo, le sport sont autant de possibilités d’offrir aux enfants des modèles agressifs attirants qui les désensibilisent à la longue, même s’ils ne sont que virtuels.
Enfin, l’anxiété est le résultat de la dépendance (inhérente à l’état d’enfance), des attentes parentales et de l’agressivité comme telle.
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