Que pensez-vous que sera la santé mentale des personnes en 2034? Quels sont les scénarios possibles si les tendances se maintiennent? En fait, 2034 est plus flou dans ma tête que 1534, dont je me rappelle au moins qu’une croix avait été plantée par Jacques-Cartier pour prendre possession de notre territoire au nom du roi de France. Mais comme je ne serai peut-être plus là pour me relire, allons-y de quelques élucubrations sur la santé mentale des personnes dans 20 ans d’ici.
Le rythme des changements aura-t-il ralenti et les capacités d’adaptation des travailleurs seront-elles moins mobilisées qu’en 2013 ? J’en doute. Les organisations seront encore esclaves des progrès techniques et scientifiques, profit et rentabilité obligent, et elles continueront à presser le citron. À l’heure où tous les coins de la planète seront plus que jamais interconnectés et que la majorité des individus seront branchés et constamment reliés entre eux électroniquement (qui se rappellera des IPhones, Blackberries et autres gadgets in du début du siècle, relégués au musée des horreurs technos), nous aurons l’impression de vivre dans un même village planétaire, comme le prédisait Mashall McLuhan dès 1967. Le cyberespace sera le point de départ de nos rapports humains et, même si personne ne sera jamais seul, il y aura autant de solitude. Le philosophe et psychologue Piero Ferrucci écrivait en 2007 que nous nous trouvons aujourd’hui au milieu d’un refroidissement généralisé [1] . Peut-être qu’alors l’ère de glaciation sera franchement installée.
Au travail, les conseillers en ressources humaines, les comités santé et sécurité, les comités bien-être, les cerveaux droits, les chapeaux rouges et les Dupont et Dupond, infatigables défenseurs de la fibre humaine dans les entreprises, poursuivront leur mission et continueront à s’éreinter pour aider les personnes plus faibles à résister et à ne pas tomber malades, victimes du trop de stress. Ai-je dit plus faibles ? En fait, on sera de plus en plus convaincu que ce sont les personnes les plus saines qui cassent en premier, symptômes d’un mal beaucoup plus grand.
Comme on le pressentait déjà au début du siècle, la technologie permettra maintenant de travailler chaque minute de chaque jour, peu importe l’endroit où nous nous trouverons sur terre. Ce sera à nous de décider: tout sera possible, tout sera ouvert. Il y aura alors tant de choses qui s’offriront à nous pour être heureux que, si nous ne le sommes pas, nous n’aurons qu’à nous en prendre à nous-mêmes, ce qui augmentera encore davantage notre sentiment de culpabilité.
Il y aura bien évidemment de nombreux avantages à la liberté et aux nombreuses améliorations dans les possibilités humaines. Comme nous le répétera la publicité, qui nous rejoindra alors dans notre sommeil grâce aux lits Dream Well, « Vous êtes autonome et au contrôle de votre vie (!) ». Par contre, comme le soulignait Schwartz (décédé en 2031), il y aura tellement de facteurs à considérer au moment de choisir qu’on finira par ne rien choisir. Ce sujet sera d’ailleurs l’occasion d’un débat d’idées lors de la populaire émission Internet Blondeau.net (diffusée juste après Le temps d’une Paix [3] qui en sera à sa trentième rediffusion) pendant laquelle des spécialistes répondront à la question Avons-nous trop de choix? En voici un extrait :
– « No, nous n’avons jamais trop de les choix! », affirmera une des invités qui enseigne le droit matrimonial à la Montreal University. « Si un personne sache vraiment ce qui veut, c’est better d’avoir more choices, parce que il va trouver plous sourement ce qui correspond à ses bisoins. »
– « Oui mais… », répliquera son vis-à-vis, Mario Dumont [4], chroniqueur culturel à Radio-Canada, « …si nous n’avons qu’une idée vague de ce que nous voulons, c’est la paralysie totale. Et si on veut passer par-dessus cette paralysie, on est stressé parce qu’on a l’impression de prendre de mauvaises décisions ».
– « Ce qui nous conduit directement à vous parler du Choice Facilitator », continuera l’animateur, « l’appareil le plus vendu en 2033, d’après les pages économiques du quotidien Le Devoir. Comme il y a trop de possibilités et de données à considérer, le Choice Facilitator ne permet-il pas maintenant d’aller au plus court en employant une stratégie de simplification de l’information? »
– « Absolument! Nous ne pouvons plus nous en séparer », répondront en cœur les deux panélistes en plaçant devant eux une petite boîte carrée. « Il me suffit de pusher sur le button Wènhòu [5], de parler dans le micro et immediately le Choice Facilitator se plogue sur le net et me montre les statistiques d’achat de tous mon amis de mes réseaux sociaux. Et il y a juste trois réponses possibles : Pourquoi pas! – Oublie ça! – Ben voyons! (traductions libres).
-« En plus, le Choice Facilitator vient en vingt-cinq couleurs et en douze formats ».
Plus sérieusement, je crois que dans cet univers futur, il y aura une portion significative d’hommes et de femmes qui se seront redéfinis par rapport au travail et à l’argent. Le manque de sens relié à la course à l’excellence et à la performance, et des circonstances extérieures qui nous donneront l’opportunité de changer en auront conduit plusieurs à se poser des questions importantes et à choisir des avenues alignées sur des valeurs différentes.
J’ai participé il y a quelques années à l’interprétation d’un sondage pan canadien, réalisé pour le compte de Sélection du Reader’s Digest, dans lequel on demandait: « Avez-vous déjà rêvé de changer de vie? » À cette question, la moitié des Canadiens interrogés ont répondu par l’affirmative. En avril 2009, un autre sondage réalisé en exclusivité pour le Figaro Magazine montrait que près de 80% des Français souhaitent changer de vie, soit 37 millions d’individus, si l’on se limite aux plus de 18 ans! Signe d’un malaise qui grandit alors que nous traversons une crise économique et éthique, désir d’un mieux-être et de donner plus de sens à son existence, désir de renouvellement et goût donner un nouvel élan à sa vie, ou désir d’exister davantage, selon les mots du sociologue Jean-Claude Kaufmann? (voir notre autre article Changer de vie? Plusieurs en rêvent.)
Quoiqu’il en soit, ce que nous serons vraiment devenus dans vingt-cinq ans, personnellement et professionnellement, dépend des choix que nous faisons aujourd’hui. D’où l’importance de se connaître et de faire le bilan de notre vie actuelle. Quelles que soient nos insatisfactions, il ne s’agit pas de chercher des excuses ou de distribuer les blâmes. Il s’agit tout simplement de prendre acte des forces et des faiblesses qui sont les nôtres. Faire le point sur ses réussites et ses insatisfactions est déjà un pas important sur la voie du changement vers un mieux-être. C’est à partir de là et en reprenant contact avec nos rêves et notre imaginaire que l’on pourra définir consciemment le genre de vie qui sera la nôtre dans vingt cinq ans [6].
C’est la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante, écrivait Paulo Coelho dans son livre L’Alchimiste. C’est donc aujourd’hui qu’il faut réfléchir et préciser avec soin des objectifs qui nous enthousiasment et qui sont cohérents entre eux, puisque plusieurs directions contradictoires créent en nous une confusion qui nous condamne fatalement à l’immobilisme.
Il faut bien reconnaître cependant que nous vivons à l’ère de l’instantané, du presse-bouton, de la vitesse, des diètes-miracles, de la satisfaction immédiate de nos désirs et de l’illusion de la réussite. La publicité et les médias nous offrent leurs miroirs aux alouettes et nous laissent croire que la vie est une succession ininterrompue de moments de joie et de jouissance. On a l’impression qu’il est possible d’apprendre sans effort, de devenir riche et célèbre instantanément, de soulager rapidement des symptômes sans agir sur les causes profondes.
Or, il est une réalité avec laquelle on ne peut pas tricher : réaliser ses rêves demande de prendre la responsabilité de sa vie, puis de mettre les efforts pour y arriver. Quand il avait cinq ans, Alexandre Despatie démontrait un intérêt certain pour le plongeon. Mais ce sont les efforts qu’il a déployés, jour après jour, pour se conditionner physiquement et mentalement, pour répéter inlassablement les mêmes mouvements et pour supporter la monotonie des entraînements qui lui ont permis d’être le champion qu’il est devenu. Sauf accident, et il peut y en avoir, ce que sera notre santé mentale dans vingt cinq ans dépend des décisions que nous prenons aujourd’hui.
Alvin Toffler parlait déjà en 1970 du choc du futur qui engendrerait stress et désorientation chez des personnes auxquelles on fait vivre trop de changements dans un trop petit intervalle de temps. Je souhaite sincèrement qu’en 2034, nous serons entraînés dans une nouvelle vague où nous travaillerons pour vivre, mais ne vivrons pas pour travailler. Le travail est essentiel à la vie, au bien-être, mais n’est pas le but de la vie.
Notes
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