Il y a longtemps que je veux parler de la tendance, pas toujours aidante, que nous avons tous à poser des diagnostics, particulièrement aujourd’hui alors que l’information circule si rapidement et que nos conversations sont meublées de TOC, de TDAH, de TSA, de dépression, de trouble de personnalité limite, et j’en passe.
En fait, je veut parler de notre tendance à mettre des étiquettes sur tout et tout le monde. Pas toujours aidante, parce qu’elle limite, entre autres, notre champ de vision et qu’elle est à la source de bien des incompréhensions et de malentendus, sous prétexte de nous aider à comprendre la réalité. Mais commençons par le début avant que je vous explique mon malaise.
Rappelons tout d’abord que, dès notre plus jeune âge, on nous apprend à nommer les choses. Ceci est une cuillère, cela est un fauteuil, Doudou est un chat, Ème-Marie est une fille, etc. Pour apprendre à communiquer, à exprimer nos besoins et nos émotions, il est essentiel de nommer. L’enfant peut toujours pleurer pour exprimer sa faim, il a fait un grand pas quand il peut nommer ce tiraillement qu’il sent dans son estomac. Même chose quand on peut dire si on est en colère, triste, joyeux ou qu’on peut formuler en mots ses objectifs. Ces petites étiquettes que nous apposons sur les différents aspects de la réalité sont plus qu’utiles, elles sont absolument nécessaires. Mais les diagnostics dans tout ça? J’y viens.
Nous apprenons ensuite à faire du classement. Ces objets sont tous rouges ou bleus, ces personnes sont des hommes ou des femmes, des adultes ou des enfants, etc. Puis ces associations se complexifient. On nous apprend que les hommes sont comme ceci, les femmes sont comme cela. Les Américains sont comme ceci, les Mexicains comme cela. Nous apprenons à catégoriser, à faire des généralisations. Je pourrais dire qu’on pose un diagnostic, au sens large.
C’est vraiment une des manières de fonctionner de notre cerveau. Pour simplifier les choses, celui-ci étend à un ensemble des caractéristiques, des qualités, des défauts qui ne s’appliquent pas nécessairement à tous les individus qui le composent. Les préjugés sont-ils une sorte de diagnostic? Oui, d’une certaine manière. Pour reprendre mon exemple, c’est plus facile de dire que tous les hommes sont des égoïstes et que toutes les femmes sont altruistes. (1)
On peut facilement déduire que les étiquettes, les catégories, les généralisations et les modèles nous permettent d’appréhender une réalité finalement très très complexe. Mais retenons aussi qu’un mot, une étiquette, une catégorie, un modèle n’est pas la réalité. C’est un outil pour la comprendre. Ainsi, le mot chien ne mort pas, le mot rose n’a pas d’épine. Et les diagnostics?
Dans tous les secteurs de la vie, le diagnostic est lui aussi un outil pour comprendre une situation donnée, souvent problématique, et y réagir. Par exemple, l’ingénieur en circulation urbaine va étudier ce qui se passe à tel carrefour, pour comprendre pourquoi il y a autant d’accidents à cet endroit. Il va poser un diagnostic et proposer des solutions.
Le médecin va m’écouter parler de mes symptômes physiques, faire des examens, lire les résultats de mes tests sanguins, en référer à ses connaissances (des modèles, des associations de symptômes, etc.) et finalement poser un diagnostic pour proposer le traitement qui convient. Une maladie est finalement une catégorie (une étiquette) qui rassemble beaucoup d’éléments.
Un peu de la même façon, le psychologue va vous écouter, vous observer et pourra, lui aussi, poser un diagnostic. Suivant son approche, son modèle de la personne humaine, ce diagnostic pourra différer. Puis, il pourra alors vous accompagner dans une démarche pour changer, pour faire face à la situation, trouver des manières pour dénouer les noeuds, etc.
En fait, tous les secteurs d’activité fonctionnent de cette manière. Devant une situation problématique, chaque spécialiste tente d’identifier clairement ce qui se passe, essaie de mettre des mots sur une réalité qui, une fois diagnostiquée, lui permettra de proposer des solutions, des correctifs, des comportements à adopter, des remèdes pour soulager ou corriger la situation. Ce sont les bons côtés du diagnostic, quand il est exact et que le spécialiste ne se trompe pas.
Dès le début de mes études en psychologie, j’étais mal à l’aise avec les diagnostics de troubles mentaux. Je pouvais bien sûr en voir les avantages, mais plusieurs de ses aspects me gênaient. Je trouvais aussi intéressants les tests de QI, mais je n’aimais pas (et n’aime pas encore) le classement des personnes comme plus, moyennement ou pas intelligentes, suivant des critères limités (et culturels) de la réalité. Il y a tellement de types d’intelligence.
Je trouvais intéressant les diagnostics de troubles mentaux et de problèmes d’apprentissage, mais ne pouvais m’empêcher de trouver cela réducteur. Une personne n’est pas seulement une déprimée, un enfant n’est pas seulement un TDAH. Tout comme sur le plan médical, une personne n’est pas seulement un cancer du sein ou une Alzheimer. Nous avons trop tendance à réduire la personne à son diagnostic. Et le pas à faire pour déduire toute la réalité d’une personne à partir de son étiquette est facile à faire.
Le diagnostic, aussi aidant puisse-t-il être, est réducteur. C’est une tentative d’objectiver une réalité tellement subjective et complexe. Ne vous y trompez pas, je reste persuadé que c’est un outil important et utile dans les mains du spécialiste. Mais même lui peut se tromper. Et si lui peut se tromper, que dire de monsieur et madame Tout-le-Monde?
Je pourrais épiloguer sur le surdiagnostic auquel on assiste aujourd’hui en médecine. D’autres l’ont fait mieux que moi (2) et tel n’est pas mon propos. Je veux surtout parler du surdiagnostic que l’on retrouve en psychiatrie et dans les sciences humaines et de ses effets dans la vie de tous les jours. Le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) a été élaboré par l’American psychiatric association et on y retrouve les différentes maladies mentales ainsi que leurs critères diagnostiques. Très utile pour assurer une cohérence entre les professionnels de la santé mentale, il est devenu la principale référence pour les psychiatres, les psychologues et les autres intervenants en santé mentale. Il a évidemment évolué avec les années, en même temps que les mentalités. Heureusement d’ailleurs. Il faut se rappeler qu’avant les années 1970, le DSM considérait l’homosexualité comme une pathologie.
Et le nombre de pathologies a explosé: près de 400 troubles mentaux dans le dernier DSM paru en 2013. Il n’y a plus beaucoup de comportements déviants de la norme ou d’émotions humaines qui échappent à l’étiquetage et à la catégorisation. On en vient presque à penser que tout le monde est malade.
«Un enfant qui présente une irritabilité persistante et des épisodes fréquents de manque de contrôle pourrait être atteint du trouble de l’humeur explosive. Se goinfrer deux fois par semaine pendant trois mois relèverait de l’hyperphagie boulimique. Une personne ayant perdu un proche et qui, au bout d’un mois, continue de se sentir triste et déprimée souffrirait d’un trouble dépressif majeur.» (3) Ces troubles se retrouvent dans le DSM-5.
Encore là, je me dis que dans les mains de professionnels avisés, un diagnostic offre un certain éclairage de la réalité, propose un modèle pour comprendre l’incompréhensible, permet éventuellement d’aider. Mais si un professionnel avisé (j’ai bien dit avisé) ne réduira pas une personne à son étiquette, je ne suis pas sûr que ce soit le cas de tout le monde. Un diagnostic déniché sur Internet ou lu dans un article de magazine va, plus souvent qu’autrement, emmurer une personne dans une catégorie.
Il y a plusieurs années, nous avons dû hospitaliser ma mère. Depuis plusieurs semaines, elle respirait difficilement et dormait mal. Après moult examens, les médecins n’ont rien trouvé. L’équipe sociale nous a rencontré pour nous dire qu’elle souffre d’angoisse. Je ne connais pas ma mère comme une angoissée, loin de là. Mais tranquillement, nous, comme elle, avons commencé à intérioriser ce diagnostic. C’est vrai qu’elle venait d’avoir 81 ans, qu’elle vivait seule dans sa grande maison, qu’elle avait perdu sa soeur et confidente peu de temps auparavant, etc.
Plus tard, mon frère Pierre, qui demeurait à l’extérieur, est venu coucher à la maison chez ma mère qui, entretemps, était retournée à la maison. Il devait se rendre à un rendez-vous le lendemain matin. En se réveillant, il a remarqué des traînées de suie autour de la bouche de chaleur, au plafond de la chambre. Parti très tôt, avant de revoir ma mère, il l’a appelée sur l’heure du midi pour lui suggérer de faire venir un technicien qui vérifierait la fournaise.
Quelques jours plus tard, le technicien a constaté que la fournaise était «défoncée» et brûlait mal son huile. Vérification faite, il y avait de la suie partout dans la maison: autour des bouches de chaleur au plafond, au bas de la porte de la cave, au bas des rideaux, etc. C’est ce que ma mère respirait depuis l’automne. Une entreprise spécialisée est ensuite venue nettoyer toute la maison, y compris la cave. Quelques semaines plus tard, les résultats de ses examens ont révélé la présence de toxines dans l’échantillon d’urine prélevé… 3 ou 4 mois avant. Elle s’empoisonnait à petit feu. Elle nous dira ensuite, avec son humour habituel: «Je suis la rescapée de la chambre à gaz.»
On ne peut reprocher à personne de vouloir comprendre ce qui se passe chez un conjoint qui pleure tout le temps, un enfant qui est agité et qui fait des crises, un autre qui éprouve des difficultés à l’école, un collègue qui manipule, ou que sais-je encore. Encore faut-il que le modèle à travers lequel j’essaie de saisir les comportements ou les émotions d’une personne soit valable. Voilà sans doute pourquoi il vaut parfois mieux s’en remettre à un bon spécialiste qui, en dépit de ses limites, aura peut-être un modèle plus différencié à nous proposer, même si ceux-ci évoluent constamment et se raffinent. Cela vaut sans doute mieux que les informations glanées à droite et à gauche, dans des forums et sur les médias sociaux.
Je ne critique pas le besoin de savoir ce qui se passe quand ce besoin est animé par le désir de venir en aide à son enfant, à son conjoint, son parent ou son collègue. L’intention est louable. Mais l’effet peut être pervers. Quand vous lisez sur un site Internet ou entendez dire dans une émission télévisée que tel ou tel comportement que vous observez chez votre conjoint est, par exemple, typique d’une personnalité histrionique ou schizophrénique ou narcissique et que vous appliquez cela sans nuance à une réalité tellement plus complexe, non seulement vous n’aidez pas, vous nuisez. Quand vous lisez que tel comportement de votre enfant, ou de vous-même, est symptomatique d’un trouble du spectre de l’autisme, je ne suis toujours pas certain que c’est aidant. Je crois, au contraire, que c’est néfaste. L’intention est peut-être bonne, mais la portée et les effets d’un diagnostic à la va-vite peuvent être dévastateurs.
En tout cas, moi, ça me met plus que mal-à-l’aise pour la personne concernée, surtout quand on entretient cela dans nos conversations avec les autres, sur les réseaux sociaux et, pire encore, avec la personne concernée. «On sait bien, toi, avec ta personnalité contrôlante…» «Ses pertes de mémoire? Elle commence à avoir de sérieux problèmes cognitifs.» «Vos problèmes respiratoires? Je suis certain que vous faites de l’angoisse.»
Il y a sans doute un tas d’autres raisons qui expliquent mon malaise devant les étiquettes, quelles qu’elles soient. Elles se résument probablement au fait que je déteste leur effet réducteur. Une personne est tellement plus que ce que je pense qu’elle est, plus que ce que les autres croient qu’elle est et que ce qu’elle croit elle-même être. Ah oui, ce n’est pas le psychologue, le sexagénaire, le parent, le scout, l’humaniste ou le grand-père qui le dit: c’est juste moi.
Et vous? Qu’en pensez-vous? Laissez-nous votre commentaire plus bas.
NOTES
(1) Les recherches en neurosciences démontrent que c’est le cas. Mais elles expliquent aussi que ces différences sont à mettre sur le compte d’une éducation différente. Voir «Le cerveau des femmes est plus généreux», Cerveau et Psycho, [En ligne] oct. 2017.
(2) «Des études scientifiques de plus en plus nombreuses démontrent qu’on prescrit plus souvent qu’il n’est nécessaire des tests diagnostiques, pour dépister des cancers par exemple. Ces études indiquent qu’environ 18 % de ces tests sont non seulement superflus, mais qu’ils peuvent compromettre la qualité de vie, voire la santé des personnes qui les subissent.» Le Devoir. «Surdiagnostic, une maladie du système de santé.» [En ligne] 18 août 2017.
(3) GAUVREAU, Claude. «Un manuel qui rend fou?» Actualités UQUAM. [En ligne] 31 MARS 2014
(4) VACHON, Marc. «Les croyances et leurs effets. Qu’est-ce que l’effet Pygmalion?» OSERChanger.com. [En ligne]
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ouff...ca fait reflechir