Vous avez sans doute entendu le bébé naissant, tout comme le jeune enfant, pleurer beaucoup. Qui ne s’est pas interrogé sur ce moyen d’expression que nous cherchons parfois à décourager, si ce n’est à éteindre?
Tout au début de la vie, jusqu’à ce que le langage soit maîtrisé dans ses subtilités, pleurer est en fait le seul moyen accessible à l’enfant pour exprimer un besoin, une émotion, une communication. Et reconnaissons ici que bien des adultes peinent encore à nuancer, avec des mots, ce qu’ils éprouvent.
Mais si les larmes nous aidaient à devenir plus résilient? (La définition de la résilience: c’est l’art de naviguer dans les torrents, de surmonter les épreuves)
Pleurer libère
L’interprétation des pleurs des enfants par un adulte n’est pas simple. Les pleurs sont en effet indifférenciés dans les premières semaines de vie puis deviennent différents selon les besoins de l’enfant. Seule l’observation aimante et bienveillante des parents permettra d’en deviner progressivement la teneur.
La plupart du temps, l’accueil des pleurs et des larmes se transforme rapidement en recherche de moyens pour les éteindre, sans trop d’interrogations pour en décoder la signification. Les parents ont ainsi à apprendre, lorsque leurs efforts sont infructueux, à laisser l’enfant parvenir à la libération que procure le fait de pleurer; c’est la base même de la résilience qui leur sera si utile tout au long de la vie.
Devenir résilient passe par les larmes
Selon Gordon Neufeld, psychologue développemental, l’adaptation passe par les larmes, celles qui suivent la frustration ou l’incapacité à voir son besoin ou son désir satisfait. Le bébé n’a pas la maturité cérébrale pour se comporter autrement. Son cerveau n’a pas la maturité requise pour fonctionner sur un autre mode que le mode émotionnel.
Il va de soi que plus l’enfant est jeune, plus il est important de répondre à ces pleurs, de nous interroger sur leur signification et d’être suffisamment flexible pour essayer plusieurs réponses. C’est à travers ces interactions accueillantes que se développe l’attachement des parents à l’enfant et, réciproquement, de l’enfant aux parents. Et comme je le mentionne dans mon livre Être parent: poser les bons gestes, cet attachement est essentiel à tous les défis ultérieurs qu’auront à relever tous les acteurs de ce long processus d’apprentissage qu’est la vie.
Rester dans la frustration, la colère et ruminer sont les germes de notre difficulté d’adulte à lâcher prise, calquée sans doute sur une habitude prise tôt dans la vie.
Pleurer permet de lâcher prise
Autour de 18 mois à 2 ans, au fur et à mesure que se développe le cerveau de l’enfant, il faudra bien sûr moduler cet accueil des pleurs, ne pas nécessairement y répondre à tout prix. Le langage permettra une analyse et des réponses de plus en plus adaptées. Toujours satisfaire le moindre désir tout comme réprimer toute expression des émotions ne sont pas non plus des solutions idéales. Dans le premier cas, nous allons faire de notre enfant un individu exigeant, gâté, qui fait des caprices, frappe, etc. Dans le second cas, la répression ou la punition vont amener l’enfant à s’endurcir et éventuellement à devenir un adulte qui ne pleurera que très rarement sinon jamais.
Il est normal de ne pas toujours obtenir ce que l’on veut, et laisser l’enfant pleurer parce que certains de ses désirs ne sont pas exaucés est un acte libérateur, une forme de lâcher-prise qui est la racine de la résilience. Laisser son enfant exprimer sa déception, sa peine est aussi un acte d’amour envers ce dernier. Gordon Neufeld suggère donc avec raison d’accueillir ces pleurs de futilité (futility tears) occasionnés par ces petits riens comme: le parent ne raconte qu’une seule histoire ce soir au coucher, un ami ne l’a pas invité à une fête, etc.
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Laisser l’enfant exprimer sa tristesse et pleurer lui permettent de lâcher prise. Après la période initiale de frustration, de colère, la plupart des enfants chez qui nous tolérons cette attitude finissent par dérager. Ils peuvent alors passer très rapidement à un autre état d’esprit et même être très joyeux comme plusieurs d’entre nous ont été amenés à le constater.
Beaucoup des désirs des enfants sont impossibles à combler, beaucoup de leurs demandes peuvent être déraisonnables, et le passage de la colère à la tristesse marque ce déplacement de l’énergie vers le lâcher-prise.
Si ce passage n’a pas lieu, l’enfant va rester accroché à sa colère, continuer de se battre jusqu’à épuisement, surtout si nous finissons par céder à ses demandes (à cause de notre propre épuisement) ou si nous passons notre temps à distraire son attention. Avec ces pleurs, son cerveau finit par accepter l’irréversibilité de la situation et l’enfant se relaxe
Savoir ne suffit pas à faire le deuil
Lorsque le cerveau enregistre que quelque chose qui ne fonctionne pas, souligne Gordon Neufeld, le fait de savoir avec sa tête ce qui ne marche pas ne suffit pas pour en faire le deuil et pour passer à autre chose. Par exemple, savoir que le poste pour lequel vous avez posé votre candidature ne vous est pas attribué ne suffit pas à lâcher prise. C’est souvent à ce moment que s’installent la résistance et la pensée obsessionnelle entourant la frustration vécue.
Mais pleurer ou exprimer sa peine avec des mots à une personne de confiance permettrait de contacter plus directement les émotions associées à la perte et à la déception. Et cette habileté s’intègre si l’adulte que nous sommes a eu des parents qui, non seulement ne se sont pas opposés à ce comportement normal, mais qui ont cessé de vouloir lui faire entendre raison, ce que l’enfant ne parvient pas à faire avant 5 ou 6 ans pour des raisons neurologiques évidentes. Rester dans la frustration, la colère et ruminer sont les germes de notre difficulté d’adulte à lâcher prise, calquée sans doute sur une habitude prise tôt dans la vie.
L’émotion et son expression sont primordiales pour nous adapter et les larmes permettent de descendre à un niveau plus profond. Bien sûr, le temps nécessaire à la résilience peut être proportionnel à l’importance de la perte. Mais pas toujours, puisque nous observons beaucoup de différences au sujet du temps requis chez plusieurs personnes qui ont vécu des épreuves similaires.
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L’attachement aux pairs
En terminant, Neufeld souligne que les enfants qui ont des carences au niveau de l’attachement aux parents peuvent avoir tendance à se relier de préférence à leurs pairs, recherchant là ce qui fait défaut dans la famille. Évidemment, ils ne peuvent pas y retrouver la profondeur des liens nécessaires au développement. D’où, entre autres difficultés, une grande anxiété chez nombre d’enfants à la garderie ou à l’école.
Cela fait aussi des enfants qui dépendent énormément des autres pour se sentir adéquats et qui sont plus à risque de vivre leur vulnérabilité dans la honte de l’expression des émotions. Leur adaptation future risque alors d’être compromise. L’agression pourra devenir une porte de sortie quand il y a frustration, puisque les pleurs sont mal accueillis par les pairs et qu’ils ne sont donc pas envisageables.
Comme vous le constatez, la capacité d’adaptation est une condition essentielle à la résilience et tout semble indiquer que l’habileté à surmonter un traumatisme se construit très tôt dans la vie.
En terminant, voici une courte de vidéo de Gordon Neufeld expliquant comment il est important pour les parents de laisser à l’enfant un espace de sécurité pour qu’il puisse exprimer ses pleurs de futilité.
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