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Dernière parution, Le bonheur

L’anti-fragilité pour traverser la pandémie

Marc Vachon, m.ps.

Quelle affaire. Quelle saleté que ce virus qui confine le tiers de l’humanité, qui restreint les mouvements, qui éloigne les gens les-uns des autres,  qui menace l’économie.

J’étais dehors à me dégourdir les jambes, marchant sur le stationnement de l’école secondaire en haut de ma rue, seul comme il se doit ces temps-ci, à écouter les oiseaux, à regarder la neige fondre, à sentir le soleil me réchauffer le dos. Et je me disais: tout est normal. Le printemps s’installe, les oiseaux migrateurs reviennent tranquillement pour nicher, les journées allongent. Mais non!

Plus rien n'est normal

Si je m’élève un peu, je vois que mes voisins, d’habitude au travail, ne travaillent plus. Tout le monde, ou presque, est à la maison. Tous les commerces, ou presque, sont fermés. Les déplacements sont limités. Il règne à l’extérieur un silence inhabituel, et à l’intérieur un bruit assourdissant: celui des médias qui diffusent en continu leurs nouvelles.

Et si je monte encore plus haut, je ne peux que ressentir l’inquiétude de plein de gens qui ont perdu leur emploi, qui ont fermé leur entreprise et qui se demandent comment ils vont s’en sortir. La solitude de gens âgés qui ne peuvent plus voir leurs proches. La fatigue de parents qui ne sont plus habitués à « garder » leurs enfants à plein temps. L’impatience de personnes qui doivent supporter la présence constante des autres dans leur bulle. La frustration de ceux et celles qui ne peuvent plus sortir à leur guise, des hyperactifs habitués à fonctionner à pleine vapeur, tout le temps. La peine, l’immense peine de ceux et celles qui ne peuvent accompagner leurs mourants, leurs souffrants. Et la peur. Décidément, il n’y a plus rien de normal.

Et il y a beaucoup de souffrances. Des petites et des grandes, desquelles on essaie tant bien que mal de se distraire, desquelles on ne peut plus se distraire aussi facilement qu’avant.

Qui va le mieux se sortir de cette pandémie?

Les enfants d’abord, heureusement moins à risque pour des raisons qu’on ne peut préciser tout à fait. Puis ceux et celles dont l’organisme va le mieux résister à l’infection. Les plus jeunes, les jeunes adultes, les personnes dans la force de l’âge.

Où trouverons-nous le plus de victimes? Chez les personnes âgées, pas toutes bien sûr, mais les plus faibles, surtout celles qui sont déjà affectées par d’autres complications qui les rendent plus vulnérables, plus fragiles.

Qui a le plus de chance de se sortir de la souffrance morale que génère cette pandémie? Les enfants d’abord, si on continue de les laisser être des enfants et qu’on les préserve de notre anxiété. Puis les plus vieux. Pas tous, bien sûr, pas juste eux évidemment, mais particulièrement ceux qui ont déjà souffert, qui ont du vécu, qui ont traversé des épreuves, qui ont compris que la vie n’est pas toujours un chemin facile, que la souffrance fait partie de notre condition humaine. Et tous ceux qui se sont développés en sachant qu’on n’obtient rien sans effort, sans abnégation, sans privation, sans souffrance et sans courage.

J’écoutais un explorateur (1) qui a traversé l’Antarctique (un périple à skis de 1500 km qui a nécessité 2 mois d’efforts surhumains) dire qu’il puisait constamment dans ses souvenirs, dans son vécu, dans ses expériences passées pour trouver l’énergie pour continuer, pour dépasser la souffrance quotidienne. Et il ajoutait que peu de jeunes auraient pu faire la même chose, par manque de ce bagage de vécu. Et je crois qu’il avait raison. 

On admire le chef d’état exceptionnel, mais on oublie qu’il a essuyé bien des défaites qui l’ont mûri. On admire la médecin, héroïne avec tous les gens qui nous soignent actuellement, mais on oublie qu’elle a bûché, que son diplôme ne lui a pas été donné gratuitement, qu'elle a fait beaucoup de sacrifices. On admire l’astronaute qui a la reconnaissance de son pays, mais on oublie les efforts physiques et mentaux et l’engagement qu’il a soutenu pendant des années pour en arriver là. Et ainsi de suite. 

C’est sans parler de ces gens ordinaires, tous ceux qui, jour après jour, depuis des années, sont devenues anti-fragiles, pour employer le terme de Mark Manson dans son livre Tout est foutu (2). Des gens qui vont passer à travers les épreuves que nous oblige à traverser la pandémie actuelle, parce qu’ils se sont entraînés à souffrir. Et qui se sont entraînés à supporter la souffrance, parce qu’ils avaient un objectif, un espoir, un rêve, un sens qui les animait.

Mes parents étaient de cette race. Ils ont vécu, enfants, la pandémie de grippe espagnole, puis la grande dépression et les privations de la seconde guerre mondiale. Ils ont élevé quatre enfants à qui ils ont donné la possibilité de faire des études supérieures par leur engagement,  leur souci de faire plus avec moins,  leur détermination à dépasser des souffrances maintenant pour un meilleur plus tard. Mes parents étaient anti-fragiles.

Et malgré leur vie frugale et parfois difficile, je  n’ai jamais senti, comme enfant, ni plus tard comme adulte qui les voyait vieillir et qui les a vu mourir, de désespoir, de peur, de panique. Et pourtant, ils en ont vécu d’immenses chagrins, dont la perte pas normale de deux de leurs enfants partis avant eux. 

Ils n’étaient pas froids, insensibles, mais ils n’étaient pas fragiles. Ils étaient matures, courageux, honnêtes, humbles, capables de naviguer dans l'adversité, de faire des sacrifices. C'était comme ça la vie à cette époque. 

Qui sont les plus fragiles actuellement? 

Notre société est orientée sur les plaisirs immédiats. Et elle en prend un sacré coup ces temps-ci. C’est plus difficile de s’étourdir aussi facilement qu’avant. Cette société a encouragé, depuis les 30-40 dernières années, la recherche du plaisir a tout prix, en tout temps, tout de suite. Elle a laissé supposer que le bonheur est synonyme d’absence de souffrance, que tout peut s’obtenir facilement. Elle nous a laissé supposer qu’on peut devenir célèbre en un jour grâce à YouTube et aux médias sociaux. Il n’y a que voleurs, les tricheurs et les menteurs qui obtiennent tout facilement, richesse, reconnaissance, popularité. 

Tous ceux qui y ont cru sont les plus fragiles actuellement. La réalité les rattrape, ils vont trouver cela très  difficile. Et je ne pense pas uniquement aux ados qui, c’est bien normal, sont insouciants, en recherche et plus vulnérables à ces illusions. Mais aux adultes encore ados, qui n’ont pas encore compris que la vraie vie, c’est ce qu’on vit présentement, malgré tout ce que cette pandémie peut avoir d’exceptionnel.

Les plus fragiles, ce sont ceux qui n’ont pas appris qu’on n’a pas le choix de devenir responsable, de s’engager à traverser cette souffrance, d’être fort et courageux pour nos enfants, de ne pas répondre à tous leurs caprices de peur de ne pas être aimé, de leur servir de modèle pour en faire des adultes qui seront un jour capables, eux aussi, d’affronter les chaos et les désespérances que ne manque pas de nous apporter une vie. 

Moi je suis un privilégié de la vie. Je me remets d’un rhume qui m’a enlevé beaucoup de forces, mais je suis bien peinard chez-moi, et j’attends que cette crise passe sans vraiment en subir des conséquences néfastes. J’ai la chance d’avoir 70 ans et plus, d'être obligé de rester chez-moi, mais de pouvoir profiter du confort de ma maison. C’est pas moi qui souffre le plus et, bizarrement, je ne suis pas en révolte contre le fait de devoir réduire mes déplacements, de ne plus voir mes enfants et mes petits-enfants, de ne plus aller au cinéma, etc.. Je me dis que ça va passer, c’est tout. Et je n'ai surtout pas le goût de faire la morale à personne. Croyez-moi, quand on écrit, c'est d'abord à soi-même qu'on s'adresse.

Je salue

Mes 3 enfants qui sont à plein temps à la maison avec leurs propres enfants, qui s’en occupent, qui leur laissent vivre leur vie d’enfant malgré tout, qui leur font l'école, les distraient, les élèvent, etc. Et aussi  mon fils Philippe qui, comme il le dit, est en guerre à son travail pour continuer à aider une clientèle de gens très vulnérables.  Je vous aime gang.

Je salue bien bas aussi tous ces gens qui continuent, au péril de leur santé souvent, à travailler pour que nous puissions survivre à la pandémie, qui démontrent courage, abnégation, dévouement. 

Et je vous salue, chère lecteurs, chères lectrices, qui êtes sans doute pour la plupart confinés à la maison ou qui œuvrez dans les services essentiels. Je vous souhaite bien sûr la santé, mais surtout que vous trouviez en vous ces ressources que vous n’avez pas manqué de développer, parce que vous aussi avez traversé des souffrances dans votre vie: vos ressources d’anti-fragilité. Le monde en a bien besoin actuellement.

Sortira-t-on changé de cette pandémie? Il est beaucoup trop tôt pour le dire, mais c'est une belle occasion de s'engager et de se renforcer. On se reverra dans quelques semaines, les mains propres et les cheveux très longs, pour renouer avec les vrais plaisirs des rencontres amicales, des fêtes et des promenades bras dessus bras dessous. 

Andrea Tutto Bene!  Ça va bien aller! Et n'hésitez pas à me laisser votre commentaire plus bas sur cette page.

(1) Bernard Voyer a traversé le pôle Nord, traversé le pôle Sud, grimpé l’Everest, et fait le tour du monde par les plus hauts sommets.

(2) Mark Manson, blogueur et écrivain américain.

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